12/12/2008

Bisbille au Pôle Nord



Le 12 décembre 1932, Océan Atlantique. Le Marsouin I naviguait doucement vers le sud, en direction de la mer des Caraïbes et des Antilles. Nous venions de quitter le port de Nuuk, au Groenland. Notre dernière mission accomplie, nous désirions prendre quelques jours de vacances pour la période de Noël. Le temps était glacial : moins quarante-sept degrés, au soleil! Nous étions fatigués de toutes nos péripéties autour du monde. Un peu de chaleur sur le cœur de mon équipage me sembla de mise et fortement mérité.

Tout me sembla normal sur le voilier. Le maître des manœuvres, Monsieur Centfaçons dirigeait les hommes sans trop de difficultés. L’équipage chantait avec ardeur… Bref, la mer était belle. Je profitai de ce calme rassurant pour me retirer dans ma cabine. Je décidai de prendre un peu de recul, puis de siroter une tisane avant de faire une petite sieste.

J’eus à peine le temps de fermer les yeux. Le quartier-maître entra en trombe dans la pièce. L’heure de la sieste était terminée. Mille millions de tempêtes des tropiques ! Je souhaitai le silence et voilà que les misères commençaient !

-- Capitaine ! Monsieur, s’il vous plaît, un appel de détresse perçu sur la timonerie, s’écria le pauvre bougre.
-- Détresse ? Déjà ? Que se passe-t-il ? Un iceberg ?
-- Non, capitaine, Monsieur. Un navire en difficulté qui réclame notre assistance immédiate.
-- Allons, mon garçon. Cessez de vous énerver de la sorte et de m’appeler, capitaine, monsieur. Dites simplement, capitaine… et sortez de ma cabine sinon je vais vous faire colère !

Rapidement, je sortis sur le pont afin de constater la gravité de la situation. Le vent se levait, les voiles prenaient de la force et la houle devenait de plus en plus intense. Peu importe, je pris la décision qui s’imposait. Le Marsouin I changea de cap. Du sud, nous prîmes la direction nord-ouest. Malgré les vents menaçants et la tempête de neige qui rageait, nous nous dirigeâmes vers le navire en perdition.

Au bout de cinquante minutes, trente-deux secondes, le voilier fut signalé. Le bâtiment en perdition en question me sembla des plus étranges. Il ne s’agissait pas d’un navire, mais d’une simple chaloupe de sauvetage. Nous nous rapprochâmes de cet équipage singulier avec circonspection. Qui dit navire en perdition, dit signal de détresse et chaloupe à la mer. Cependant, le navire brillait par son absence, perdu dans le blizzard…

-- Monsieur Centfaçons, s'il vous plaît. Ma chaloupe préférée à la mer. Je veux cueillir cet empêcheur de roupiller en paix au collet et au plus vite. Et que ça saute !

Mon embarcation de secours à la mer, je me mis à ramer vers le mystère. Je ne voyais ¸ âmes qui vivent dans le frêle esquif. Je redoublai d’ardeur à la tâche en plein brouillard. C’est que je craignais que ma tisane…

J’accostai le gredin à bâbord. Ma surprise fut considérable. Un homme et un chien ronflaient à tout rompre dans la chaloupe. Mille millions de tempêtes des tropiques ! Ces drôles s’offrent des roupillons pendant que je me frise les moustaches par un temps de chien ! Je ne pris pas la peine de réveiller les pauvres malheureux. Je halai le tout en moins de deux minutes vers le Marsouin I.

Les naufragés furent aussitôt amenés dans ma cabine. Des soins urgents leurs furent prodigués. Ils dormaient et reprenaient des couleurs dans mon hamac…

Ma tisane fut froide, mais mon cœur fut ravi.

J’examinai avec soin, les indices le baluchon de notre nouveau passager. L’homme voyageait léger : des cartes, un journal de bord… le mystère s’amplifiait. Le naufragé était-il digne de confiance ? En feuilletant le carnet de l’inconnu, je compris qu’il était américain. Il étudiait les cultures inuit et les sciences de la nature. Il vouait une admiration sans bornes aux explorations téméraires. Je découvris plusieurs photos de Robert Peary, le découvreur du pôle Nord. L’homme semblait en route vers les régions polaires ou quelques coins du Groenland. Néanmoins, le mystère demeurait entier. Pourquoi donc avait-on abandonné cet homme et son chien en plein milieu de l’océan Atlantique ?

Au bout de quelques heures, le rescapé ouvrit les yeux. Aussitôt, il réclama de l’aide et de l’action !

-- Je… Je ne veux pas quitter le voilier ! Laissez-moi tranquille. Traître ! Voleur ! Chenapans !
-- Du calme, mon ami. Tout va bien. Vous dériviez à bord d’une embarcation de secours. Nous sommes venus à votre secours. Voilà.
-- Je… Mon chien ? Mes chiens ? Où sont-ils ?
-- Votre chien se porte très bien et se promène sur le pont avec mes hommes. Mais, il est seul.
-- Il est seul ? Et mes malles ? Mes documents, mes instruments ? Que se passe-t-il ? Qui a ordonné ce branle-bas de combat sur le voilier ?

L’heure est grave ! Je ne comprenais rien au charabia de notre invité. Je tentai de me calmer et de le calmer par la suite.

-- Monsieur… Au fait, monsieur, quel est votre nom ?
-- Je m’appelle Robert Parry. Je suis en expédition vers… le Pôle Nord. Tel Robert Peary, je veux vivre ce grand voyage avec mes chiens. Mais tout est désormais impossible puisse que l’on a dérobé tout mon équipement ! Ce capitaine espagnol est une fripouille ! Actuellement, il vogue avec mes rêves vers le Pôle Nord ! C’est un scandale !

Par les crevettes roses de la mer Noire ! Qui donc ose briser les rêves de cet homme et les vacances de mon équipage ?

-- Monsieur Centfaçons ! Changement de programme. Cap Nord nord-ouest! Nous devons porter assistance à notre passager. Monsieur Washington. Cessez ces facéties avec le chien de notre invité! Et deux tisanes, bouillantes, s'il vous plaît! Et que ça saute !

À suivre…


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1. Illustration: Le Capitaine Alexander Teschner devant le gouvernail de son voilier, le Pera. 1901
2. Illustration : Robert Peary au gouvernail du Theodore Roosevelt.



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2 commentaires:

  1. (2ième essai)
    Je disais donc: Me semble entendre la voix du capitaine disant ... et que ça saute!

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  2. >Gaétan:

    Je vous remercie de votre passage NORDNORDNORD au sud du carnet du Capitaine. Votre voix est importante.

    Joyeuses fêtes!

    (Et que ça saute!)

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