08/01/2009

Bisbille au Pôle Nord 4



Après 36 jours d’hivernage dans les glaces, le moral des troupes était plutôt morose. Les réparations nécessaires pour la remise à flot du Marsouin I progressaient lentement. L’étrave avait retrouvé ses couleurs et sa structure avait étaient été fortifiée en prévision des mauvaises rencontres fortuites nombreuses dans la mer Arctique. L’équipage œuvrait sans relâche afin de nous remettre sur la voie vers le Nord. Néanmoins, les soucis s’accumulaient sur ma casquette. Nos réserves d’eau douce disparaissaient vue d’œil… Selon Monsieur Centfaçons, quartier-maître, nous étions au bord de la catastrophe. Il ne nous restait plus que trois jours d’eau potable, à bord. Bref, la situation devenait de plus en plus… cornélienne.

Néanmoins, L’équipage releva le défi avec brio. Tout le monde s’activa à la manœuvre. Tout monde, même Monsieur Washington ! Le jazzman de la Louisiane accumula les quarts de retards avec les quarts d’avance, ce qui lui valut une place d’honneur à ma table, à 19 heures moins le quart. Une fois n’est pas coutume. À la fin de notre modeste repas composé de biscuits de mer et de jus de coco, nous levâmes nos verres, à la santé de notre ami. Le musicien nous remercia en nous interprétant plusieurs mélodies de sa belle Nouvelle-Orléans.

Cette petite fête sous les étoiles nous redonna courage. Malgré tout, je remarquai que notre invité, monsieur Paerry, avait du mal à sourire. Je comprenais que son souci de parvenir au Pôle Nord, le toit du monde, lui tenaillait le cœur. D’évidences, l’homme craignait l’échec de ses rêves.

-- Monsieur Paerry, que diriez-vous d’une promenade sur le pont. Un peu d’air frais, voire polaire me conviendrais.
-- Avec joie, capitaine. Nous suffoquons à l’intérieur, n'est-ce pas?

Au bout de quelques minutes, il me confia ses craintes.

-- Ô capitaine, j’ai peur de ne pas faire honneur à ce défi que je me suis imposé.
-- Monsieur, nous sommes prisonniers des glaces. Nous ne sommes pas prisonniers de la mer. Je peux vous assurer que nous faisons tout ce qui est possible pour nous dégager et reprendre la route vers le Nord.
-- Je sais, et je vous remercie. Néanmoins, je crains que cet infect personnage, celui qui m’a dérobé tous mes biens, ne trouble nos projets. À l’heure actuelle, il doit déjà établir sa base sur l’île d’Ellesmere. Toutes mes cartes sont entre ses mains. Je crois qu’il me devancera…
-- Monsieur Paerry, je… enfin… Je n’osais pas lui confier mes voyages personnels au Pôle Nord. Par plus de trois fois, j’ai perdu le compte et le conte, j’ai touché la banquise du toit du monde. Mais, je jugeai préférable de taire ce récit. Je trouvai plus important d’écouter le récit des rêves de ce nouveau compagnon.
-- Je veux réaliser cet exploit seul, capitaine…
-- Mon ami, je comprends, mais…
-- Perry et ses membres d’expédition ont quitté Sheridan le 1er mars 1909. Pendant 36 jours, 23 hommes, 133 chiens de traîneaux ont bravé les affres de dame nature. Grâce à son expertise des sciences et sa grande connaissance des mœurs des Innus, il a réussi la conquête de cet endroit mythique.
-- Il n’était pas seul. Il était bien secondé.
-- C’est exact. Matthey Henson, ce grand explorateur Afro-Américain et compagnon de voyage incroyable, l’a secondé sans failles dans chacune de ses aventures vers le Nord. Six hommes sont parvenus au Pôle Nord, le 6 avril 1909 : Robert Perry, Matthey Henson, Oatah, Egingwah, Seegloo et Ookeah.
-- Il faut garder espoir. Nous reprendrons la mer, d’ici peu.
-- Je le souhaite, capitaine. Cependant, promettez-moi de ne pas intervenir dans la procédure normale de cette expédition. Je souhaite réaliser cet exploit en l’honneur de Robert Perry. Ce qui signifie avec mes propres moyens… selon mes rêves.

Je tombai la casquette. Je promis à Robert de l’amener à l’île d’Ellesmere selon ses désirs.

Ce moment solennel fut troublé par la venue étrange et impromptue d’une odeur de brûlé… Je me tournai vers le gaillard d’avant avec curiosité. Mille millions de tempêtes des tropiques ! Le grand mat était en feu !

À suivre…

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1. Illustration: Navire pris dans les glaces de l’Arctique. 1876. Kennedy galerie. New York.


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3 commentaires:

  1. Charmante vidéo qui nous garde dans l'esprit du récit. Espérons que ce n'est pas trop grave le feu dans le mât du bateau du capitaine.

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  2. Chutttttt!!!!

    Ceci est une histoire à suivre.......

    (C'est sûrement très très GRAVE!)

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  3. Artemus,

    Je vous assure, le capitaine est dans votre coeur. C'est déjà beaucoup.

    (Joli nom...)

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